Tuesday, April 19, 2011

En pâture (texte de Ann Aroïs)

Marcher sur l’eau, éviter les péages, jamais souffrir, juste faire hennir, les chevaux du plaisir.


Alain Bashung in Osez Joséphine



Madame rêve d'atomiseurs
Et de cylindres si longs
Qu'ils sont les seuls
Qui la remplissent de bonheur
Madame rêve d'artifices
Des formes oblongues
Et de totems qui la punissent

Alain Bashung in Madame rêve



Il m’irrite tout autant qu’il m’excite.

Il m’écrit sans écrire.

Il dit un mot. Je dois comprendre ce qu’il veut me dire.

Il n’écrit rien. Il envoie une feuille blanche. Je dois comprendre qu’il est là, que l’on peut se parler.

Il jette un b, un s, un r.

Je lui réponds comme Merteuil écrirait à Valmont.

Je calme mon irritation par de longues formules aimables.

Je ne supporte pas ses phrases courtes.

Et pourtant.

Pourtant, il me tient.

Il me tient comme la boucle qui lie la hampe et la jambe de la lettre f.


Il me fascine.


Sur une photo, il a le regard fixe de la folie.

Sur un dessin, il a le corps féminisé d’accessoires fétichistes.


Il n’aime pas qu’on le flatte mais aime exhiber son corps.


Il regarde le monde par morceaux.

Sa chair d’abord.

Qu’il photographie.

Une cuisse emballée sous un film plastique.

Comme une statue grecque remisée dans

les réserves d’un musée.

Ce qui l’entoure ensuite.

Un mur froid de béton contre un herbage vert.

Un carreau de céramique dans un mur.


Il écrit.

Des textes courts. Des fragments là encore.

Des poèmes.

Il cherche le mot juste, la phrase juste.


Les mots bleus de la chanson.


Parler me semble ridicule
Je m'élance et puis je recule
Devant une phrase inutile
Qui briserait l'instant fragile


Il donne à voir dans ses images un monde désincarné

Mais écrit ses textes comme un animal blessé

Il coud ses mots

comme un musicien à la voix déchirée


Il écrit des mots

qui ressemblent à la nuit

La nuit de ceux qui sont d’un autre genre

Ceux à qui il cherche à ressembler


Il est fasciné.


Il me fait peur tout autant qu’il me fascine.


Je hais la façon dont il frustre les femmes.

Il jouit de les séduire.

Il jouit de leur fascination.

Mais ne donne rien.


Il a le regard perçant d’un grand félin.

Je regarde ces images de lui.

Comme Diane.

Chasseresse.

Ses yeux verts font fléchir mon corps.

Son torse carré fait frémir ma peau.

Son sexe large fait mouiller le mien.

Ses fesses rondes me font envie.


Il devient un fantasme.

Le fantasme de l’homme qui ne serve qu’à mon plaisir.

L’utiliser.

Le soumettre.

Le dompter.


Un jour il a écrit cette phrase :

Je vous donnerai mon corps en pâture.


Comme une chienne, j’ai envie de mordre son corps.

Le gifler et tout à la fois le laisser me tenir en laisse.


1 comment:

bertfromsang said...

quelque chose de pierre molinier, chez "il"...

pâture et morsure, aspirations certaines...